La crise sanitaire a creusé un écart, le masque est devenu symbole.
Il n’a pas la douceur du plaid que j’applique sur mon nez et ma bouche lorsque l’angoisse monte, mais il me permet de me créer un petit cocon de chez-moi, quand je suis dehors. Il se fait doudou, doudou un peu rêche pas toujours très confortable, mais doudou quand même.
Je suis heureuse de le quitter une fois chez moi, mais dehors, sans, je me sentirais nue face à un monde qui ne le mérite pas.
Le sentiment de n’avoir pas ma place ici s’est accru depuis un an ou deux. La crise sanitaire en est en partie responsable, mais mon ressenti d’inadéquation avec ce qui m’entoure préexistait et j’avais déjà, avant, commencé à me mettre en retrait des situations dans lesquelles je me sentais étrangère. J’avais déjà commencé à me mettre en retrait des gens qui me semblaient trop éloignés de mon monde.
À une époque où seules les évidences de la vie extérieure ont de la valeur et où tout est vu sans effort, le masque symbolise mon être qui réclame un investissement personnel, une vraie implication, avant de se mettre à nu.
Je l’associe également à la nudité lorsque je le vois mal porté, et je l’avais déjà évoqué. Bizarrement, son absence pure et simple ne me fait pas l’effet d’être dans un camp de naturistes, mais baillant, perpétuellement glissant, ou ostensiblement porté sous le nez et je me sens forcée de voir l’intime de l’autre.
Il y a quelques jours je me raidissais à l’approche d’un homme qui me regardait fixement et dont le nez pointait délibérément au dessus du tissu. Et pas plus tard que lundi je frissonnais intérieurement de dégoût chaque fois que ce formateur haussait les sourcils en cadence comme s’il cherchait à me faire complice d’un mystérieux secret un peu grivois en même temps que son masque glissait jusque sous sa moustache.
Le conserver même lorsque je pourrais l’ôter est une manière de refuser de m’identifier à ceux qui le quittent, pour regagner un sentiment de liberté, ou le portent à moitié, par négligence ou pour se déclarer rebelle. Pour moi, le porter n’est pas provocation puisqu’il m’apaise, il est mon moyen de garder un secret.
Mais, tout comme au printemps 2020, alors qu’il n’était pas encore obligatoire d’en porter et qu’il était de toute façon impossible de s’en procurer, et alors que même pour sortir les poubelles j’enfilais celui que je m’étais cousu, je me sens isolée face à la grandissante majorité retournée à la vie d’avant. Et je frémis à l’idée du jour où il ne sera plus officiellement utile.
Vertie
Déjà, paru sur : htpps://troispasenavant.wordpress.com