Derrière le masque…Michel Billé

Pandémie oblige, du moins traitement social de la pandémie oblige, nous portons le masque dans une multitude de circonstances que nous n’aurions jamais imaginées il y a encore quelques mois… Qui nous aurait dit que des millions de français sortiraient masqués, ne se toucheraient plus, ne se serreraient plus la main, ne s’embrasseraient plus ? Bien sûr on peut se dire que l’on oubliera bientôt cet épisode pour le moins étrange, ces « gestes barrière », ces évitements ces éloignements… Mais qu’en restera-t-il ? Quelles traces en garderons-nous ?

Il est évidemment bien difficile de dire aujourd’hui ce que sera « le temps d’après » mais si nous le voulons serein, bon à vivre, dans des relations sociales apaisées, il nous faut sans doute explorer ce qui se cache derrière le masque pour comprendre, au delà de la pandémie, de quoi il protège et finalement… ce qu’il nous donne à voir.

Bien sûr, d’abord, il cache le visage, il est censé le protéger et protéger les autres de ce que ce visage pourrait projeter sur eux. Ce faisant il nous prive de ce que le visage permet ordinairement : la reconnaissance et la compréhension de ce qu’il montre: sourire, étonnement, tristesse ou joie, etc. Comment dès lors prendre l’autre en considération si je n’accède ni à son identité ni à ce qu’il me dit. ? Comment envisager l’autre si le masque le dévisage ?

Au delà de cette dimension se cache sans doute derrière le masque ce que l’on pourrait appeler une virtualisation croissante de la relation qui passe par une désincarnation dont le masque devient le symbole… « Quand on se sent proche on ne s’approche pas » et « Arrêtez les embrassades », ces deux formules, slogans préventifs, mille fois entendus, suffisent à suggérer et induire cette désincarnation. Embrasser c’est « prendre en bras », « prendre à bras le corps »… La distance se veut protectrice là où nous pensions jusqu’à présent que la proximité était bienfaisante et parfois même douce à vivre.

S’agissant des plus vulnérables de nos contemporains, le masque symbolise alors également la distanciation sociale, la mise à distance, à l’écart, dont ils font l’objet. Bien sûr il fallait confiner… Mais souvent, en les confinant on les a isolés et en les isolant on les a enfermés…

Que l’isolement ait été légitime, peut-être, de toutes façons cela ne se discutait pas mais isoler c’est autre chose, c’est fragiliser ou rompre le lien affectif et social qui vous permet d’être en relation… Et c’est là que l’enfermement fait son œuvre, il met en péril les plus vulnérables, il les blesse (syndrome de glissement par exemple) et, finalement, les fait mourir.

Il est facile alors de s’en prendre aux responsables d’établissements et services qui accueillent et accompagnent les personnes vulnérables. Bien sûr il y a eu ici et là des décisions absurdes et abusives mais le plus souvent c’est nous, citoyens qu’il convient de mettre en question : sommes-nous prêts à exiger de nos politiques à quelques niveaux qu’ils soient, qu’ils décident de consacrer à l’accompagnement et aux soins des plus vulnérables les moyens humains et financiers qui permettraient de penser et de mettre en œuvre un accueil digne de celles et ceux qui sont accueillis et de celles et ceux qui les accueillent ? Sommes-nous prêts à en payer le prix qu’exigerait alors la solidarité nationale qu’implique la fraternité républicaine ?

Ce qui se cache derrière le masque c’est alors une gigantesque disqualification des vieux, du fait de leur âge, des personnes en situations de handicap du fait de leurs déficiences, des plus vulnérables du fait de leurs difficultés, quelles qu’elles soient.

Enfermer pour protéger celles et ceux que le masque rend invisibles…

Le masque pourrait bien finalement cacher les vieux et autres handicapés pour, cachant leur visage, les rendre invisibles, les oublier…

Oubliés, n’existant plus, ils ne couteront rien !

Michel Billé. Sociologue.

14/10/2020.