« Consentir » : Le dictionnaire historique de la langue française (sous la direction d’Alain Rey) nous explique qu’il s’agit d’un emprunt très ancien au latin « consentire » qui signifie être d’accord avec, de cum (avec) et sentire (sentir) au sens de être d’un même sentiment… Il s’agit donc d’être en accord avec, de se conformer à, de donner son accord à quelque chose…
Il n’est alors jamais anodin de prendre conscience de la place du consentement dans nos vies… Il nous a fallu consentir à tant de choses ! Mais l’expression même « fallu consentir » vient justement dénaturer (ou révéler ?) la notion même de consentement… S’il me faut consentir c’est que je ne suis pas libre de le faire, c’est que cela s’impose ! Et l’ambiguïté de notre rapport au consentement trouve peut-être ici son origine : comment consentir librement si je suis obligé de consentir ?
Bien sûr la question s’est posée depuis notre plus tendre enfance… Il a fallu consentir, obéir, travailler, se soumettre à l’autorité même infondée parfois… Travailler à l’école, obéir à la maison à des parents parfois remarquablement bienveillants mais pas toujours… Consentir pour certains à une éducation religieuse et à ses « commandements », à ses préceptes… Il a fallu obéir à l’armée, se soumettre au service militaire, à l’autorité du grade… Il a fallu pour certains se soumettre à l’autorité d’universitaires parfois quelque peu péremptoires, se soumettre au travail, accepter l’autorité de la hiérarchie… Se soumettre à l’autorité de l’État, des lois, de la police… Et bien sûr, consentir à « prendre pour époux ou pour épouse… » Consentir à une sexualité plus ou moins choisie, à des pratiques culturelles Consentir toujours, partout, quel que soit le registre…
Lisant cela certains diront « Et heureusement ! » sans quoi il n’y aurait partout qu’un gigantesque foutoir… Consentir à l’ordre permet certainement une vie collective potentiellement féconde. D’autres affirmeront qu’il y avait surement ici et là quelques manières de résister et de ne pas confondre consentir et se soumettre, peut-être auront-ils également raison… C’est que cette véritable « éducation au consentement » nous a transmis une véritable idéologie du consentement au motif d’éviter le désaccord, l’opposition, le conflit… Et forcément, dans une société ultralibérale, la publicité et le marché sont venus manipuler les foules, en captant leur « temps de cerveau disponible[1] » parce que le marketing a développé justement l’art et la manière de nous faire consentir à acheter tel produit, tel service…
Mais partout, à travers ces exemples multiples apparaît le paradoxe du consentement : Peut-on consentir librement ? Comment dès lors consentir et ne pas consentir ? Peut-on dire non ? Peut-on refuser ? Peut-il y avoir consentement si la place pour le refus n’est pas cultivée elle aussi ? C’est bien entre ces deux pôles que peut croître la liberté même si le paradoxe se loge à nouveau dans cet espace : accepter la soumission est-ce encore exercer sa liberté ? « Il est incroyable de voir comme le peuple, dès qu’il est assujetti, tombe soudain dans un si profond oubli de sa liberté qu’il lui est impossible de se réveiller pour la reconquérir : il sert si bien, et si volontiers, qu’on dirait à le voir qu’il n’a pas seulement perdu sa liberté mais bien gagné sa servitude.[2] » écrivait La Boétie.
Sans doute la culture des philosophes peut-elle nous aider à creuser encore cette question et à retrouver, jusque dans le paradoxe, l’exercice de la liberté là où nous avons justement l’impression de la perdre ou à l’inverse, de la perdre alors qu’on a le sentiment de la gagner ! Je ne peux connaître le parfum de la rose sans en accepter les épines…
De la même manière je ne peux vivre sans vieillir, vieillir c’est vivre et il ne me servirait à rien de prétendre vivre sans consentir à vieillir…
Consentir à vieillir : ce qui semble bien d’ailleurs constituer, pour nombre de nos contemporains, un impossible consentement puisque la vieillesse nous est donnée souvent à regarder comme redoutable, inacceptable, insupportable ! Consentir à vieillir est alors perçu comme le comble de l’absurde du consentement puisque vivre se définit alors comme consistant à consentir à… mourir ! Avons-nous le choix ?
Cet incommensurable paradoxe se décline pour chacun d’entre nous de manière sans doute un peu différente selon l’âge, les circonstances de la vie, le rapport avec l’entourage, les déterminants sociétaux, politiques, les héritages dont nous sommes porteurs aussi bien sur le plan génétique que sur le plan éducatif, culturel, économique, etc.
La période que nous traversons (COVID et pandémie obligent) nous place exactement dans ces paradoxes multiples de consentements difficiles, nécessaires, impossibles… Avec une question toujours récurrente : consentir à quoi ?
Consentir à des restrictions de liberté… Consentir à un confinement, à un isolement, à un enfermement parfois… Consentir à se faire « tester »… Consentir à des restrictions de pratiques sociales, aux « gestes barrière », au port du masque, au couvre-feu… Bref consentir et consentir encore alors même que pour consentir il faudrait pouvoir faire confiance à celles et ceux qui demandent ces consentements et dont nous observons si souvent les contradictions, les imprécisions voire les incompétences… Comment consentir sans faire confiance et comment faire confiance si l’on n’est pas en mesure de s’approprier les enjeux du consentement ?
Alors consentir à quoi ? Qui peut répondre à cette question ? Nos dirigeants vont parfois un peu vite à répondre ! Ils savent eux puisqu’ils ont le pouvoir… Et l’on observe bien souvent que l’ignorant affirme d’autant plus fort qu’il lui faut donner l’apparence du savoir au lieu d’avouer tout simplement qu’il ne sait pas ! Le scientifique, le savant, lui oserait peut-être exprimer un doute… quand le sage réfléchit, cherche et doute également…
Et nous voici confrontés à cette situation bien difficile à vivre : il nous faut consentir sans savoir si nous avons raison de le faire puisque l’on ne comprend pas à quoi nous consentons…
Il se pourrait alors que ne partageant, au fond, qu’un sentiment, nous ne soyons d’accord que sur un point : le plus important est peut-être de vivre en gardant toujours ouverte la question de savoir à quoi nous consentons, même et surtout si nous ne savons pas y répondre… L’anguille, comme souvent, se cache peut-être sous la roche…
[1] P. Le Lay TF1 2004.
[2] Etienne de La Boétie : « Discours de la servitude volontaire. (1546-1548) Ed. Mill et une nuits oct. 1995. Traduction en français moderne : Séverine Auffret.